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L'histoire du patrimoine végétal d'Yvetot [1021-2021] - Ivetot à Yvetot

004 - Part I - Chapitre II - première partie -   L'histoire du patrimoine végétal d'Yvetot [1021-2021] De 1021 à la Révolution française - Origine d'Yvetot et toponymie du lieu

004 - Part I - Chapitre 2 - Première partie -  L'histoire du patrimoine végétal d'Yvetot [1021-2021]  - de 1021 à la Révolution française -  Origine d'Yvetot et toponymie du lieu

"Tapisserie de Bayeux - XIe siècle" "Avec l'autorisation de la Ville de Bayeux"

Les échanges et complicités des seigneurs d’Yvetot avec les Ducs de Normandie se sont construits sur les champs de bataille ou pendant les croisades comme en Angleterre avec Guillaume le Conquérant (1066) et comme avec le duc de Normandie dit courte Queue lors des croisades au Moyen Orient en 1096.   

004 - Part I - Chapitre II - première partie -   L'histoire du patrimoine végétal d'Yvetot [1021-2021] De 1021 à la Révolution française -  Origine d'Yvetot et toponymie du lieu

« Je me fonds dans le paysage, il me nourrit, il me transperce, il me saisit et  il m'ouvre sans cesse au monde ; je suis sensible au lieu, au site. »

Pascal Levaillant, septembre 2020

A propos de la toponymie du lieu.

 

Chacun sait que le passé de la ville a été souvent étudié et a fait l’objet de controverses.

Il suffit de lire Gilles, Gaguin, Ruault, Guimeth, Voltaire, Labutte, Fromentin, Beaucousin, Poli, Lefebvre, Delamare, Cahan, Tesnière, Bréhier, Lapert, Tougard, Thorel, Couasnon, Clatot, Abensur-Hazan, l’histoire officielle de la Ville d’Yvetot et les nombreuses publications du Cercle d’Etudes du Patrimoine Cauchois - CEPC[1] -

Ces publications traitent des origines et des dynasties qui se sont succédées.

Face à ces sources, que j’ai étudié attentivement je m’attacherai à recueillir et analyser en priorité les éléments du paysage d’Yvetot qui a au cours des siècles été façonné par l’homme. 

Le chapitre des origines contestées d’Yvetot de son opus « le petit roi d’Yvetot » de Serge Couasnon fut le point de départ de cette nouvelle recherche sur les origines de la cité.

 

 

L’énigme des origines d’Yvetot

Étude onomastique, géographique, botanique et historique

 

Contrairement aux apparences, Ivetotus apparait dans un texte « Gatherus Ivetotus Caletus, agri Tothomagenfis »[2]

A lire cet intitulé, le lecteur pourrait penser qu’Yvetot existait au temps des Calètes mais détrompez-vous cette formulation a été publié qu’en 1666.

 

Toutefois Yvetot probablement connu des hommes de « basse Latinité » comme semble le dire François de Beaurepaire qui ont pu donner Bailly et Réffigny.

Noms de hameaux formés avec des noms d’hommes de basse latinité[3]

Bailly, à Yvetot

Ballius

Reffigny à Yvetot

Rufinus

 

Les noms de lieux de ce modèle sont particulièrement peu nombreux dans le pays de Caux au regard de leur densité dans le reste de la France .

Sur cette carte d'état-major datant de 1820-1866,  Réfigny, Restimare, Le Verger figurent.

in :  IGN remonter le temps 2021 - https://remonterletemps.ign.fr/comparer

 

1021 ou 1024-1026  : Ivetoht - Ivetoh ou Ivetot !

De son côté, Beaucousin[4] affirme « que soit l’époque à laquelle on croie devoir faire remonter l’origine d’Yvetot, ce nom n’apparait pas avant le commencement du XIe siècle dans les actes publics parvenus jusqu’à nous. […] On le voit mentionné pour la première fois dans une charte de Richard II, duc de Normandie, délivrée vers l’an 1021 en faveur de l’abbaye de Saint-Wandrille, dont ce prince confirme et augmente les possessions. » [5] Cette charte en contient l’énumération, qui se termine ainsi : « …in ivetoh centum acras terrae, » à Yvetot cent acres de terre. Les moines de Saint-Wandrille y possédaient donc alors un domaine d’une certaine étendue ; mais on ignore l’endroit précis où cette terre était situé et comment ils en étaient devenus les propriétaires. Yvetot, du reste, avait déjà une importance assez grande pour posséder une église desservie par un curé. […] Il existe une charte de Guillaume-le-Conquérant, datée de 1051, par laquelle il approuve certaines donations faites à l’abbaye de Saint-Wandrille par trois chevaliers normands.[6] L’un d’eux, Toustain, fils d’Helvise, cède au monastère : «  auprès d’Yvetot, un manoir avec le territoire de Carclif et la terre de Corbérie, deux parts de la dime de la terre qu’il tenait nouvellement du comte d’Evreux .[…] Des localités que cite la charte dont il s’agit, une seule est connue ; c’est le fief de Carclif, aujourd’hui Carqueley, sur la paroisse de Sainte-Marie-des-Champs […] «  apud Yvetot » auprès d’Yvetot. »

Les Archives départementales de la Seine-Maritime apporte une précision intéressante  sur la date présumée d'une mention écrite du nom Yvetot :

" La plus ancienne mention écrite du nom d'Yvetot connue daterait de 1021 selon Léonard-Auguste Beaucousin. Il s'agit d'une charte de Richard II de Normandie confirmant et augmentant les possessions de l'abbaye de Saint-Wandrille. La date s'approcherait plus de 1024-1026 pour Marie Fauroux qui a édité les actes des Ducs de Normandie (911-1066) tout en spécifiant qu'il s'agirait d'une copie XIIe siècle. L'énumération des biens se termine ainsi : "...in ivetot centum acras terre"

In: Fenêtre  sur Tour, N° 26, septembre 2021, Archives Départementales de la Seine Maritime -

in : https://fr.calameo.com/read/0000152400bb136ab4fa1

A l'examen de ces documents, je remarque une différence dans les citations.

Beaucousin  cite : « …in ivetoh centum acras terrae, »

Fauroux de son côté cite : "...in ivetot centum acras terre"

Yvetot s'écrit alors  ivetoh d'un côté et ivetot de l'autre. !

alors que Beaurepaire le consigne  ainsi : "Ivetoht" - In : https://dicotopo.cths.fr/places/P25774847

De même, le dictionnaire topographique de la France[7] qui recense les noms de lieux attestés sur le territoire français ainsi et les formes anciennes (latines et autres) qu'ils ont revêtues au cours des siècles nous renseigne sur d’autres points de repère dont ceux décrits par Beaurepaire[8] 

 

A Yvetot[9] on peut lire :

« Dans Ivetoht (1025-1026); A. de Ivetot (1046-1048); Ivetot (vers 1050); Apud Ivetot (1051); Decimam ecclesie de Ivetot (1142); De Ivetot ( xiii e siècle); Walt. de Ivetot… feodo suo de Ivetot (1150-1165); Ric. de Ivetot (1217); Galt. de Ivetot (1226); Yvetot (vers 1240); Ric. de Yvetot (1252); Yvetot, J. d'Ivetot (1337); Ivetot (1431); Ivetot (1319); […]

Yvetot est associé également aux lieux suivants :

 

Le Mont Asselin[10] : Ad montem Asselini (fin xii e siècle) […]

Retimare[11] est associé au hameau : Apud le Tot inter Tolebuc et Restimare (1221) ; Wil. de Restimare (1314); Rethymare (1566) ; […]

Mezerville[12] est associé à : Mesarville (19-11-1420) ; Chemin de Mezerville (1566) ; […]

Saint-Clair-sur-les-Monts[13] : Tres acras terre apud Sanctum Clarum, fin xiie siècle (Arch. S.-M. 23 H, charte de Richard d'Yvetot) ; Sanctus Clarus, vers 1240 (H. Fr. XXIII, 281) ; Saint Cler, 1319 (Arch. S.-M. G 3267) ; Sanctus Clarus, 1337 […]

Le Carquelay[14] : Carclif, 1051 (Adigard des Gautries 1956, 235) ; Kaclif, 1198 (Stapleton 447) ; Carclif, début xiiie siècle (Arch. S.-M. 16 cart. f. 182) : W. de Caleclif, 1224 ; G. de Caleclif, 1224 (Arch. S.-M. 18 H) ; G. de Kareclif, 1226 (Arch. S.-M. G 4091) […]

Sainte-Marie-des-Champs[15] : Volonté. presbytero de Campis , sans date (Arch. S.-M. 16 H cart. f. 184) ; Sanctam Mariam de Campis , 1221 (charrette Arch. S.-M. 16 H. F. 186) ; Sancta Maria de Campis , 1240 (S. Fr. XXIII, 281) ; Dedicavimus ecc. Beate Marie de Campis , 1264 (Bonnin, 498) ; Sancte Marie des Camps , 1319 (Arch. S.-M. G 3267) ; Sancta Maria à Campis , 1337 ; Sainte Marie des Camps , 1431 (Longnon 27, 85) Eglise de Saincte Marie des Champs, 1401 […]

Mesniltat ou Meniltate (le)[16] : W. de Mesnil Tate. (Concerne peut-être le Mesnil Tade, 1224 (Arch. S.-M. 18 H) Le Mesnil (Tate, 1393 Présentation à la léproserie des Baons-le-Comte par G. du Mesnil Tate à cause de de son fief du Mesn…, 1469-1470 (Arch. S.-M. G. 7470, 9457) Le Mesnil Tata, 1397-98 (Arch. S.-M. Tab. Rouen reg. 8 f. 307 v.) […]

Le verger[17] :  Vergié, (Arch. Nat. P. 303-130) ; Le Verger, 19-11-1420 (Arch. S.-M. Tab. Rouen) ; En la par. de Sainte-Marie-des-Champs 1/4 de fief nommé le Verger, 1503 (Beaucousin 210 — Vic. de Caudebec, serg. de Baons-le-Comte)[…] »

 

Si ces premiers renseignements instructifs faisant référence du 11e siècle au 16e sont très intéressants, cependant aucun de ces éléments nous rapproche encore des origines et invasions scandinaves c’est-à-dire antérieurs au 11e siècle.

Beaurepaire émet cette première piste à explorer :  

« L’arrivée des Vikings en Normandie fut à l’aube du Xe siècle l’évènement majeur des origines de cette province. Mais une grande imprécision règne sur les conditions dans lesquelles ils s’y établirent ; les textes de cette époque n’apportent que des informations bien indigentes et les traces archéologiques de leur implantation sont très rares. Heureusement la toponymie régionale, riche d’éléments scandinaves, nous apporte des données irremplaçables ; les historiens1 y ont en effet noté la présence fréquente d’éléments d’origine scandinave tels que tot « domaine rural », comme dans Yvetot, […][18] »

Cet indice évoque le rapport aux origines scandinaves toutefois Yvetot par ses origines supposées entretiennent un flou qu’il ne peut élucider totalement.

Poursuivant cette exploration il m’est apparu crucial de confronter ces données à ma recherche sur le patrimoine végétal d’Yvetot.

C’est indéniablement l’étude l’ouvrage de Serge Couasnon - Le petit Roi d’Yvetot[19]  - et du chapitre des origines contestées d’Yvetot, qui m’a mis sur la piste de la désignation étymologique du lieu Ivetot :  l’if !

Nous verrons que cette essence robuste et insolite en Normandie constitue un premier signe distinctif pour ce patrimoine végétal yvetotais et normand durant cette balade patrimoniale inédite.

Mais avant cela, je vais reprendre la thèse la plus répandue que les yvetotais ont pu lire depuis des décennies et notamment depuis les années 1950 dont on a déduit que l’origine d’Yvetot s’attacherait au nom d'un présumé chef Yvar, venu d’Yvetofta, située dans une province suédoise de Scanie, auquel est associé le suffixe scandinave "topt", domaine ou terre. 

 

 

Ainsi en 1994 :

 « Yvetot fut nommé « Ivetoht » puis « Ivetot ». Il semble bien que le nom actuel provienne du fait que cette terre cauchoise a été attribuée en fief par Rollon à l’un de ses compagnons d’armes. Des chercheurs scandinaves ont établi une relation directe entre Yvetot et le petit bourg d’Yvetofta en Suède, entre la Baltique et la région des lacs suédois. Ils précisent qu’Yvetot a pour origine le nom d’Ivar et signifierait la « terre d’Ivar ». Mais il demeure que le bourg existerait déjà sans doute comme seigneurie dès 558 comme le rapportent certains documents. »[20]

En 2020 :

Cette version éditée en 2020 continue de se répandre pour décrire l’histoire d’Yvetot[21] en ces termes. Nota Bene : le conditionnel reste en vigueur comme pour rappeler une grande incertitude :

« Yvetot aurait pour origine le nom d’un chef scandinave venu d’Yvetofta, Yvar, auquel est associé le suffixe « topt », qui signifie « domaine » ou « terre ». D’où les dérivés d’Yve et Tot qui se traduiraient par « Terre d’Yvar ». Yvar aurait obtenu ce fief cauchois lors des invasions normandes. [22] Cependant, le bourg d’Yvetot aurait existé bien avant l’arrivée des normands, puisqu’on a retrouvé un bracelet gaulois[23]  sur le territoire actuel de Touffreville-la-Corbeline, qui aurait été une fortification gallo-romaine. [24]»

Associée aux origines d’Yvetot, l’évocation de la proximité de Touffreville-la-Corbeline, de Saint-Clair-sur-les Monts, à laquelle j’ajouterai Auzebosc, s'impose et elle me parait intéressante et pertinente d'autant que  le  paysage  a toujours été façonné par l’homme depuis le néolithique.

 

in : remonterletemps.ign.frcomparer / (Carte Cassini (XVIIIe siècle)

Calvare, Bailly, Retimare, Reufigny, Meserville...

 

Un dénommé Maurice Bachelet[25] décrit un lieu-dit « Calvare » tel qu’il fut avant la période du royaume, extrait rapporté par Louis Lapert[26] en 1979.

"Ce lieu-dit « Calvare » s’appelle ainsi depuis les origines les plus lointaines. « Il vous intéressa peut-être de savoir qu’au fond de ce vallon de Calvare coulait à l’époque tertiaire et quaternaire une rivière dont certains reconnaissent les méandres. Cette rivière, dans son parcours naturel vers l’ouest, venait des fonds de Touffreville-la-Corbeline[27], St-Clair-sur-les-Monts et du Val-au-Cesne… […] Au cours des Xe et XIe siècles, ce vallon appartenant aux seigneurs d’Auzebosc (dont il ne reste que quelques vestiges du château forteresse construit sur le plateau voisin) était couvert de vignes qui fournissaient un petit vin aigrelet. Vers la fin du Xe siècle, une colonie écossaise était venue se fixer sur ce vallon (et sur ceux de Touffreville, de St-Clair et du Val-au-Cesne qui appartenait « aux Cénobites de l’important moûtier de Notre-Dame-de-Fontenelle ») et y avait installé de nombreux moulins à vent. Ensuite ce fut l’abandon et une végétation luxuriante envahit bientôt toute cette région"

 

Bois de la Salle - Touffreville-la-Corbeline - in : https://remonterletemps.ign.fr/

Extrait de la mission C1710-0071_1947_F1710-1910_0178, Cliche Argentique n°178, Échelle : 1/25835, Date de la prise de vue 29/07/1947.

Sur ce cliché, la butte du bois de la Salle qui symbolisée par un cercle boisé est en bordure de plaine et encerclée par des arbres de haut-jet

 

 

Sur la commune de Touffreville-la-Corbeline, à propos du bois de la Salle [28],   L.A. Beaucousin décrit ce que fut une des buttes au temps de Jules César et des Calètes ce que développera 70 ans plus tard David-Marescot sans son opus en 1955 :

« On trouve ça et là quelques enceintes fortifiées, espèces de camps environnés de fossés, profonds et dont la terre est rejetée en talus sur les bords, à peu près de la manière que sont faits les fossés et les banques qui entourent les fermes du pays de Caux ; et rien n’empêche de penser que la coutume de protéger ainsi les bâtiments agricoles dans notre pays date de cette époque éloignée. […] Parmi les plus considérables de ces retranchements qui ont échappé à la destruction on peut indiquer : […] ceux qui se trouvent échelonnés le long du cours de la Seine et, dans le voisinage d’Yvetot, celui du bois de la Salle, lequel domine la vallée qui, commençant à Auzebosc, se termine à la Seine après avoir contourné le plateau du Vertbosc et de Louvetot. Cette dernière fortification se compose d’un espace de terrain enceint d’un fossé profond, […]. L.A. Beaucousin

L.A. Beaucousin[29] rappelle que, d’après la conquête de Jules César, quatre cités  furent fondées dans la région des Calètes dont Harfleur (Caracotinum), Lillebonne (Julio-Bona), Caudebec (Lotum) et Gravinum (Grainville-la -Teinturière !). Il ajoute qu’aucun vestige de cet âge n’a jamais été trouvé hormis des fragments de vases au Mesniltate et de conclure qu’Yvetot n’existait peut-être pas à cette époque, ce qu'atteste les indications figurant sur les cartes des voies romaines maillant le pays des Calètes.

Yvetot, vue prise à proximité du Bois de la Salle © Pascal Levaillant 2020

Yvetot, terre de légendes.

Venons à la légende de Gautier (Gilles et Gaguin)  qui se répandit jusqu’à nos jours  que relaya  notamment le  magazine municipal  Vivre à Yvetot en 1994.

« Rarement une région peut se vanter d’un passé si fastueux qu’Yvetot, même si aujourd’hui les traces sont détruites. Du moins a-t-on la certitude vers 1025[30] de l’existence d’un bourg sur ce plateau aride dès lors. Un certain Gautier, seigneur des lieux et chambellan du roi franc Clotaire, ayant mécontenté son maître, préféra pour éviter son courroux aller combattre dix ans en Orient. S’étant couvert de gloire, il s’assura de lettres de recommandation du pape Agapet 1er et alla à la rencontre de son souverain à Soissons. Celui-ci avait la rancune tenace et, bien que se trouvant dans une chapelle, se saisit d’une épée et tue Gautier. Pour éviter l’excommunication pour son acte, le roi s’empressa d’ériger la seigneurie d’Yvetot en royaume. C’est plutôt invraisemblable et anachronique mais c’est la petite histoire. Dans les premiers documents relatifs à la commune, on remarque cependant qu’Yvetot au début du XIe siècle, était un franc fief. A ce titre il était permis au seigneur de porter le titre de roi : c’est ce que fit Richard 1er en 1203 au moment où la Normandie devenait française. » [31]

L’idée la plus répandue reste donc celle-ci, encore aujourd’hui.  

Yvetot conserve ainsi le souvenir d’une forte image symbolique grâce à l’existence de son ancien royaume, histoire officielle relatée par la ville en 1958 par Henri Cahan, par la Ville en 1994 et en 2020 restant encore fortement assimilée à la version  de Robert Gaguin [32], un mythe selon Couasnon : il n’est pas le seul à penser cela.

Après les nombreuses études et essais menés du 17e siècle au 19e siècle, il s’avéra qu’au 20e siècle ces recherches se tarirent, il fallut attendre la thèse de Jean Thorel soutenue à Rouen en 1985 pour revisiter l’ensemble des études réalisées jusqu’à Poli auquel il se réfère, s’appuyant sur ses abondantes lectures faites à la bibliothèque de  l’abbaye de Saint-Wandrille. La question centrale de sa thèse fut les origines d’Yvetot. Il explora les probables origines scandinaves d’Yvetot sans apporter, lui non plus la preuve irréfutable.

Découvrant récemment la thèse d’Yves Le Guillou soutenue pour le diplôme d’archiviste paléographe 1997, cette publication inédite apporte de nouvelles connaissances sur le fameux auteur anonyme auquel fit référence Jean Ruault.

Yves Le Guillou, archiviste paléographe, docteur de l'EPHE, conservateur général des bibliothèques, directeur-adjoint du département Images et prestations numériques à la Bibliothèque nationale de France, revient sur cette légende dans sa thèse intitulée « Les Bouthillier, de l’avocat au surintendant (ca 1540-1652). ». Il vient nous éclairer sur cette légende qui fut à multiples reprises controversée. Sa thèse vient contextualiser cette histoire et nourrir mon propos d'autant que l'histoire s'est souvent rangée plutôt du côté du pouvoir en place ou des puissants influant du moment, comme les religieux.

De même qu'au 19e siècle il était fréquent d'affirmer une « Histoire officielle » ou une toponymie des lieux l'associant à la chrétienté, à ses fondateurs ou à quelques-uns de ses Saints. (Yves)

 

« Denis Bouthillier, l’auteur anonyme[33]

 

On attribue traditionnellement à Denis Bouthillier deux ouvrages anonymes. L’un est d’une grande importance pour connaître ses sentiments politiques et religieux pendant les guerres de religion. Il s’agit du Traicté contre les prétendus droicts du royaulme d’Yvetot, dont nous n’avons pas la date, et, surtout, de la Responce des vrays catholiques françois à l’avertissement des catholiques anglois pour l’exclusion du roy de Navarre de la couronne de France, publiée en 1588.

 

Denis Bouthillier au royaume d’Yvetot[34]

Nous n’avons jusqu’ici pas retrouvé le texte du Traicté contre les pretendus droicts du royaulme d’Yvetot et nous ne le connaissons que par une mention de Claude Joly[35]

 

Mais si nous n’avons pas eu ce texte entre les mains, nous avons eu celui d’un professeur du roi en éloquence, du nom de Jean Ruault, qui a publié, en 1631, des Preuves de l’histoire du royaume d’Yvetot avec un examen, ou réfutation des instances et moyens de faux de l’auteur anonyme et autres écrivains modernes contre la même histoire. Dans cet auteur anonyme, le père Lelong a vu Denis Bouthillier[36]

 

L’histoire du royaume d’Yvetot est simple. Gautier, seigneur d’Yvetot en Normandie, était le chambellan de Clotaire Ier. Mais il tomba en disgrâce et dut s’exiler. Dans son exil, il guerroya contre les infidèles, tant et si bien que le pape Agapet voulut l’aider à retrouver les bonnes grâces de Clotaire. Gautier se présenta au roi un Vendredi Saint, muni d’une lettre du pape, dans l’église de Soissons, où se trouvait Clotaire. Ce dernier, ne pouvant supporter de le voir là, le tua sur place. Puis, s’apercevant de son erreur et regrettant amèrement son geste, il érigea la terre d’Yvetot en royaume et affranchit les successeurs de Gautier de toute sujétion à la couronne de France. Les « partisans » du royaume d’Yvetot apportent comme preuves des pièces écrites par Clotaire lui-même, datant de 536. Ils justifient l’existence de ce royaume en s’appuyant sur la confirmation des privilèges du royaume par Louis XI et tous ses successeurs.

L’intérêt de l’ouvrage de Ruault est qu’il en consacre la moitié à présenter les arguments de l’auteur anonyme avant de le réfuter.

 

Comme premier argument, il avance qu’aucune autorité ne parle du royaume d’Yvetot : ni Grégoire de Tours, ni Aymoin, ni Anastase le Bibliothécaire. Viennent ensuite des arguments historiques et chronologiques :

 

- Gautier serait allé faire la guerre aux infidèles. Or, à l’époque de Clotaire, les Sarrazins étaient chrétiens, Mahomet n’étant pas encore né.

- Le pape Agapet n’a pas pu condamner Clotaire. En effet, juste après son élection, Agapet est parti pour Constantinople où il est mort, son pontificat ayant duré onze mois et dix-huit jours. Etant donné qu’il a été élu le 29 mai 535, et que Gautier a été massacré le Vendredi Saint de l’année 536, la nouvelle n’a pas eu le temps d’arriver à Constantinople avant la mort du pape.

- D’après l’histoire, ce furent des cardinaux qui, avec le pape, condamnèrent Clotaire, alors qu’à cette époque, le collège des cardinaux n’existait pas.

- De plus, l’érection de la terre d’Yvetot daterait de 536. Or, à cette époque, on ne comptait pas les dates par les années de la Nativité, mais par celles des règnes des rois de France.

- Enfin, Clotaire n’était roi qu’en Austrasie, et la terre d’Yvetot se trouvait en Neustrie.

 

Les arguments de Ruault ne valent pas ceux de son antagoniste. Avec Ruault, nous sommes encore loin des preuves rationnelles. Il demande, par exemple, où Grégoire de Tours fait mention de la Sainte Ampoule, alors que « nul François catholique ne peut [la] révoquer en doute sans se montrer impie envers sa religion, son roy et sa patrie »[37] Puis il continue sur le même ton avec Pharamond, la loi salique et beaucoup d’autres choses du même genre, sur quatorze pages ; et la suite n’est pas plus brillante.

 

L’auteur anonyme réfute la légitimité du royaume d’Yvetot en analysant les éléments qui en constituent l’histoire. Il fait intervenir la logique, fondée sur une connaissance certaine de l’Antiquité. Certes, il ne pratique pas la critique des sources, mais son argumentation repose avant tout sur la raison et la cohérence historique. Animé par une volonté de s’attaquer à une institution qui lui semble contraire au droit, l’auteur anonyme applique le doute systématique aux fondements mêmes de cette institution, et, par le seul raisonnement, essaie de la mettre à bas. Il y a déjà, dans cette démarche, un peu de l’esprit rationaliste que Descartes érige, à la même époque, en philosophie.

La comparaison du Traicté contre les pretendus droicts du royaulme d’Yvetot avec la Reponce... sur le pretendu privilege de la fierté de sainct Romain, de Denis Bouthillier, est particulièrement révélatrice. Contre la tradition instituée par le chapitre cathédral de Rouen de blanchir chaque année un criminel parce qu’il porte en procession la châsse de saint Romain le jour de la fête du saint, Bouthillier s’insurge, et cherche à saper les fondements de cette tradition en démontrant, par de simples calculs chronologiques, que les dates mises en avant par les chanoines de Rouen ne correspondent à aucune réalité : […]

 

Bouthillier développe son raisonnement autour du calcul des dates sur des dizaines de pages. Il ne veut pas en démordre et continue sur le même ton. Sans relâche, il assène à ses adversaires ses arguments chronologiques : […]

 

Même s’il eût été peut-être difficile pour leurs auteurs de faire autrement, il est remarquable que dans les deux attaques menées contre les deux institutions que sont les privilèges du royaume d’Yvetot et le privilège de saint Romain, la méthode employée est la même. Il ne paraît donc pas absurde de conclure que l’auteur du Traicté contre les pretendus droicts du royaulme d’Yvetot et celui de la Reponce... sur le pretendu privilege de la fierté de sainct Romain est une seule et même personne, à savoir Denis Bouthillier. »

 

 

Après ce détour inédit avec la complicité d’Yves le Guillou  venons-en à notre affaire, c’est-à-dire au patrimoine végétal de la principauté d’Yvetot car comme nous venons de le constater toutes les données antérieures au 11e siècle s’avèrent hypothétiques  et sans preuves formelles puisque que pour la plupart des thèses elles s’appuient sur des écrits datant du 16e siècle soit près de huit siècles des prétendues fondations d’Yvetot qu’aucune certification ne vient confirmer autant sur la légende de Gaguin que sur l’existence d’un Saint Yves ou d’un dénommé  Yvar.

Cependant chacun sait que le paysage est façonné par l’homme, chacun sait également que la nature a précédé l’homme.  Ce que l’on sait c’est que jadis la forêt couvrait le pays de Caux, qu’au 11e siècle, les coteaux des fonds et les hauteurs d’Yvetot-Auzebosc étaient non boisées et parfois plantés de vigne[38], que plus tard les masures cauchoises étaient édifiées de fossé-talus, de bâtiments agricoles, de mares, de colombiers du pourpris d’un manoir, de jardins et de vergers clos avant le 15e siècle. Grâce aux botanistes et aux scientifiques, chacun sait aujourd’hui que les ifs étaient présents en Normandie avant les invasions germaniques et scandinaves   comme l’attestent notamment les ifs millénaires de la Haye de Routot ou d’Estry en Normandie.

Examinons alors l’état des connaissances sur les origines contestées d’Yvetot portées à la connaissance des yvetotais par Serge Couasnon à l’occasion de la publication de son ouvrage le petit roi d’Yvetot paru en 2005.

Ce qu’il révèle la probable origine d’Yvetot par l’if ! a été étudiée depuis par de nombreux scientifiques de France et de Scandinavie en dépit d’autres thèses prônant les origines par un supposé Yvar venu de Suède dont l’existence serait avérée qu’au 12-13è siècle ou d’un supposé Saint Yves dont la chrétienté a entériné ses bienfaits au 13e siècle, bien après les invasions scandinaves.

Fin de la première partie de ce  chapitre

La seconde partie de ce chapitre traitera de 

Qui d’Yvar, d’Yves, de la Maison du Dessus,  de l’if ?

- La vérité se cache-t-elle finalement au pied d’un arbre ?

 

La troisième partie de ce chapitre traitera de 

- 2005, sur les pas de Serge Couasnon, en attendant d’emboiter ceux de Robert Bourdu

- des normands qui valorisent leurs ifs : Michèle Lesage, Pierre Rohr, Martine Pioline, Alain de Belleguy et l’association locale des Amis des Ifs de La Haye de Routot

- inventaire des ifs à Yvetot, dans les communes de l'ancienne principauté et sur le territoire de la CCYN.

 

[1] Le CEPC  a été fondé par Robert Tougard en 1993… Ont publié des articles dans ce bulletin : Clatot, Delamare, Desvaux, Tesnière, Traversat, Hurel, Roussel, Julien puis Hébert, l’actuel président, Fédina, Blondel par le biais de la « Gazette du partrimoine cauchois »

[2] Juris publici Imperii Romano-Germanici : Additionum ad priores primus De Johannes Limnäus, Spoor, 1666. Ces termes sont repris dans : Histoire sommaire de Normandie, Louis Le Vavasseur de Masseville, Chez J.-B. Besongne, 1708 et dans Histoire généalogique et chronologique de la maison royale de France, des pairs, grands officiers de la couronne & de la maison du roy: & des anciens barons du royaume: avec les qualitez, l'origine, le progres & les armes de leurs familles; ensemble des statuts & le catalogue des chevaliers, cammandeurs, & officiers de l'ordre du S. Esprit. Le tout dresse sur titres originaux, sur les registres des des chartes du roy, du parlement, de la chambre des comptes & du chatelet des Paris...& d'autres cabinets curieux

Couverture, Anselme de Saint-Marie (originally Pierre de Guibours), Anselme (père), Honoré Caille Dufourny, Ange de Sainte-Rosalie (P.), Simplicien (père), La Compagnie des libraires, 1733

[3] In : La diffusion de la toponymie scandinave dans la Normandie ducale, Scandinavian place-names in norman duchy, François de Beaurepaire in : https://journals.openedition.org/tabularia/1760#quotation

[5] Bibliothèque nationale. Nouvelles acquisitions, fonds latin, n°2. In : Histoire de la principauté d’Yvetot, ses rois – ses seigneurs par L.A. Beaucousin, Rouen, Yvetot, 1884, n°193/301ex., p.9.

[6] Biblioth. Nat. Nouvelles acquisitions. Fonds latin. In : Histoire de la principauté d’Yvetot, ses rois – ses seigneurs par L.A. Beaucousin, Rouen, Yvetot, 1884, n°193/301ex., p.9-11.

[7] Toponymie Yvetot - in : https://dicotopo.cths.fr/

[8] Robillard de Beaurepaire (Charles de) et Laporte (dom Jean), Dictionnaire topographique du département de la Seine-Maritime, 2 t., Paris, 1982-1984, Dictionnaire papier.

[18] In : https://doi.org/10.4000/tabularia.1760 - François de Beaurepaire, « La diffusion de la toponymie scandinave dans la Normandie ducale », Tabularia [En ligne], Guillaume de Volpiano : Fécamp et l’histoire normande, mis en ligne le 22 juillet 2002, consulté le 26 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/tabularia/1760 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tabularia.1760

[19] In : Serge Couasnon, Le petit Roi d’Yvetot, Editions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, 2005

[20] In : Archives municipales d’Yvetot, Vivre à Yvetot et dans le canton, guide 1994, p.62-64.

[21] In : https://www.yvetot.fr/histoire-de-la-ville/2021

[22] La fin du 8e siècle voit arriver en vallée de Seine les premiers navigateurs scandinaves venus du Danemark et de Norvège et c’est que vers les années 840. Que les vikings s’installent dans ces contrées côtières comme dans le pas de Caux. In :  référence à  La Normandie des origines à nos jours, François Neveux, Histoire des provinces, Editions Ouest-France, Rennes, 2010, p.21-22.

[23] Relisant l’Abbé Cochet, au paragraphe YVETOT  ÉPOQUE GAULOISE ( ? ),  l’Abbé Cochet dit ceci — Le Musée de Rouen possède un beau bracelet en or pesant cinquante - neuf grains , et trouvé en 1843 à Yvetot ou aux environs . In : La Seine-Inférieure historique et archéologique, époques gauloise, romaine et franque – Jean Benoît Désiré Cochet, janv. Derache, 1864, p22

[24] In : https://www.yvetot.fr/histoire-de-la-ville/: paragraphe « les origines de la ville, novembre 2020. »

[25] Maurice Bachelet avait fait des recherches approfondies sur ce lieu-dit en 1954 se référant à des documents, certains forts précieux, détruits sous l’occupation en 1941 qu’il transmit au Courrier Cauchois de la préparation des premiers moto-cross sur « les fonds de Calvare » organisés par le syndicat d’initiative d’Yvetot, naissant.

[26] In : Courrier Cauchois du 16 juin 1979

[27] Sur les terres de Touffreville-la-Corbeline, jadis un demi-siècle avant notre ère, l’armée de César édifia un camp romain au bois de la Salle près du virage -sur la droite venant de Touffreville - qui plonge la route vers le Mont-Joly allant de Touffreville vers Yvetot. David Marescot le décrit comme une vaste butte où pouvait d’installer la tente d’un général. On appelle cette butte aujourd’hui dissimulée par un bois (taillis) :  la butte d’Henri IV. Dans les années 60, j’allais de nombreuses fois y jouer avec des camarades. D’après l’ouvrage de David-Marescot, De César à Henri IV au pays des Calètes, Pays de Caux, 1955

[29] In : Histoire de la principauté d’Yvetot, ses rois – ses seigneurs par L.A. Beaucousin, Rouen, Yvetot, 1884, n°193/301ex., p.4-5.

[30] Vers 1021 comme le stipule Beaucousin, in : Histoire de la principauté d’Yvetot, ses rois, ses seigneurs, Beaucousin, Métairie- Delamare, Rouen-Yvetot, 1884, date et source qu’a également retenu Le PNRBSN pour son guide Yvetot, au fil des patrimoines.

[31] In : Archives municipales d’Yvetot, Vivre à Yvetot et dans le canton, guide 1994, p.62-64.

[32] Robert Gaguin : général de l’ordre des mathurins, dans sa chronique – Compenium de francorum Gestis – 1497. Il assure qu’il a trouvé « par une autorité constante et indubitable que cet évènement s’est passé en l’an de grâce 536 ». In : Serge Couasnon, Le petit Roi d’Yvetot, Editions Charles Corlet, Condé-sur-Noireau, 2005, p.23.

[33] Yves Le Guillou est Diplômé d’études approfondies Les Bouthillier, de l’avocat au surintendant (ca 1540-1652). Histoire d’une ascension sociale et formation d’une fortune, Yves Le Guillou, HAL, archives-ouvertes.fr, in : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00287931v1/document

[34] Seine-Maritime, arr. Rouen, ch.-l. de cant..in : ibidem 34

[35] Lelong (P. Jacques), Bibliothèque historique de la France, t. III, 1719, p. 391. In : ibidem 34

[36] Joly (Claude), Divers opuscules tirez des mémoires de M. Antoine Loisel, advocat au Parlement, Paris, 1652, p. 590. In ibidem 34

[37] Ruault (Jean), Preuves de l’histoire du royaume d’Yvetot avec un examen, ou réfutation des instances et moyens de faux de l’auteur anonyme et autres écrivains modernes contre la même histoire, Paris, 1631, p. 27. In : Les Bouthillier, de l’avocat au surintendant (ca 1540-1652). Histoire d’une ascension sociale et formation d’une fortune, Yves Le Guillou, HAL, archives-ouvertes.fr, in : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00287931v1/document

[38] J. Le Maho nous apprend l’existence de vignes dès l’an 854, au-dessus de l’abbaye de Saint-Wandrille plantées sous l’abbatiat de Wandrille, à 500 pas au sud du monastère. In : www.persee.fr/doc de J. Le Maho - 1996.

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