12 Avril 2021
005 - Part I - Chapitre II - Deuxième partie - L'histoire du patrimoine végétal d'Yvetot [1021-2021] De 1021 à la Révolution française - Origine d'Yvetot et toponymie du lieu
"Tapisserie de Bayeux - XIe siècle" "Avec l'autorisation de la Ville de Bayeux"Les échanges et complicités des seigneurs d’Yvetot avec les Ducs de Normandie se sont construits sur les champs de bataille ou pendant les croisades comme en Angleterre avec Guillaume le Conquérant (1066) et comme avec le duc de Normandie dit courte Queue lors des croisades au Moyen Orient en 1096.
Les arcs et les flèches étaient en bois d'if selon la tradition gauloise, celte et scandinave.
Pour la réalisation de cette partie de ce chapitre je tiens à remercier spécialement la Ville de Bayeux ; Lucie Martin de l'Université of Geneva du laboratoire d'archéologie préhistorique et anthropologie et Stéphanie Thiébault du CNRS, Paris ; les associations "Roumois, Terres Vivantes en Normandie", "A.R.B.R.E.S. Remarquables et "Les Amis des Ifs de la Haye-de-Routot" ; Karin Wendel d'Ivetofta ; la famille Lapert pour leurs archives ; M. Martial Bréhier et son père, l'auteur de la présentation de l'annuaire guide de la région cauchoise -1968 - ainsi que la famille Tesnière au nom de leur regretté père Pierre Tesnière ; et enfin Serge Couasnon auteur de " le petit roi d'Yvetot", Corlet, 2005.
Ces sources m'ont permis d'enrichir et d'agrémenter ce chantier d'écriture d'une grande complexité tant les controverses ont été vives de 1950 à 2000.
Qui d’Yvar, d’Yves, de la Maison du Dessus, de l’if ?
Il convient alors d’interroger les recherches menées dans l’ombre pour vérifier les hypothèses qui malmènent nos certitudes encore aujourd’hui. Certes les recherches avancent faisant de ces connaissances nouvelles des questions essentielles pour interroger l’histoire d’une ville dont on dit qu’elle a perdu tout ou partie de ses archives à la Révolution française.
Qu’en est-il véritablement ?
Ce que l’on peut avancer avec circonspection c’est qu’avant 1950, l’histoire d’Yvetot et de sa principauté écrite par les historiens depuis au moins 9 siècles ont traduit cette histoire des origines par la simple chronique d’un royaume depuis 536, contredite au cours des siècles jusqu’à ces dernières années.
En outre on ne peut confondre l’histoire d’Yvetot et l’histoire de la Normandie dans un même récit tant leurs enjeux et leur suprématie se sont peu mêlés. Les échanges et complicités des seigneurs d’Yvetot avec les Ducs de Normandie se sont construits sur les champs de bataille ou pendant les croisades comme en Angleterre avec Guillaume le Conquérant (1066) et comme avec le duc de Normandie dit courte Queue lors des croisades au Moyen Orient en 1096.
On doit une des premières histoires officielles à Dudon qui a relaté l’histoire naissante de la Normandie à la fin du 11e siècle, récit à la fois complexe et épique.
"Dudon de Saint-Quentin1 entreprit de rédiger une histoire des premiers ducs de Normandie, à la demande de Richard Ier (942-996). En raison de la mort de ce duc en 996, Dudon interrompit durant quelques années la rédaction de son ouvrage, mais, à la demande de Richard II (996-1026), il la reprit et la mena à son terme." : Dudon de Saint-Quentin et le martyre de Guillaume Longue Épée, Pierre Bouet, p. 237-258, in : LES SAINTS DANS LA NORMANDIE MÉDIÉVALE, Pierre Bouet, François Neveux.
Quant à la tapisserie de Bayeux, elle s’avère être un document implacable et onirique tout à la fois :
"Les Arcs en bois d’if furent utilisés par les archers normands lors de la bataille d’Hastings (1066) puis par les Archers anglais lors de la guerre de Cent Ans (1337-1453). Ce conflit contribua probablement à réduire les peuplements d’ifs dans les forêts et les campagnes normandes. Tapisserie de Bayeux, XIe siècle. Avec autorisation spéciale de la ville de Bayeux." in : https://manche.observatoiredesarbres.fr/SPASSDATA/ALGEDIM/QOKQWR/D471/D47176.pdf
Grâce à ce document il est possible de relier l’histoire de la maison d’Yvetot - seigneurs et sire d’Yvetot – à celle de la Normandie quand Guillaume le Conquérant a vaincu Harold à Hastings. Harold fut tué par une flèche reçue dans un œil tirée par des archers ce qui fit de cette arme, l’arc, la force et l’arme secrète qui permit aux anglais et duc de Normandie de gagner tant de batailles contre leurs ennemis. Ces arcs et flèches étaient fabriquées avec le bois d’if dont se servaient les gaulois, les celtes et les scandinaves (vikings). L’héritage de l’if fut déterminant pour maintenir cette invincibilité incontestée grâce à ses stratégies de combat bien plus performantes que le maniement des épées, des arbalètes et autres armes moins maniables.
Robert Bourdu précise dans un de ses articles publiés :
« Dans l'Antiquité, au Moyen-âge et tout récemment dans les provinces, on destinait le bois d'if à la confection d'objets ménagers (seaux, gobelets, sabot) d'élément de tuyauterie, conjointement au bois d'orme, et pour tailler des piquets destinés à être enfoncés dans des sols très marécageux...[Le plus vieil objet en bois connu remonte à une période interglaciaire d'il y a environ cent mille ans. Il a été exhumé des terrains marécageux proches de Clacton-on-Sea, dans l'Essex, au nord de Londres. [...] Les pointes d'if réalisées par l'homme de Cro-Magnon rivalisaient en dureté avec celles qu'il taillait dans les bois des grands cervidés. L'if fut longtemps employé dans l'équipement des navires pour la confection de petits objets d'accastillage, mais l'essentiel de ses usages militaires réside dans la confection d'arcs, d'arbalètes et de flèches.[...]
La botte secrète des armées anglaises
C'est en 1066, à la bataille de Hastings, que les fantassins de Guillaume le Conquérant armés d'arc puissant surprirent d'adversaire, les cavaliers portant des lances et de lourdes épées. A cette époque, l'armée d'Outre-Manche ne comptait que très peu d'archers dans ses rangs, mais était principalement constituée de porteurs de javelots, de haches et de cognées. Au cours du combat, le roi Harold mourut après avoir reçu une flèche dans l'œil, Guillaume le Conquérant vainqueur la dynastie normande s'implanta en Angleterre et l'arc en if devint l'arme par excellence des troupes, au pont que les mots yew (if) et bow (arc) s'avèrent synonymes. Ce ne fut qu'au XVe siècle que la poudre à canon remplaça l'adresse des archers » in http://Callac.joseph.lohou.fr : l'If, "arbre de vie, arbre de mort"
Depuis les années 1950 est apparue la thèse qui est devenue officielle dans l’histoire de la ville d’Yvetot.
Un supposé Yvar
Là encore la thèse dans notre époque moderne nous ramène aux vikings, aux invasions scandinaves que certains ont jugé plausibles à la recherche d’une ville jumelle en Ivetofta, en Scanie, Suède, jadis territoire conquis en Scandinavie par les danois. Ce furent le maire Jean François et Henri Cahan, son adjoint qui tentèrent de confirmer ces hypothèses, ce qui n’a d’ailleurs jamais totalement convaincu Pierre Tesnière[1].
La similitude du saint patron des églises « Saint-Pierre » de ces deux cités a probablement ajouté à la confusion dans cette recherche menée pendant le mandat du maire Jean François.
Fort instruit de ces révélations de l’après-guerre, au moment où Yvetot, meurtrie par la guerre, se cherchait une identité nouvelle, la ville en phase de reconstruction a affirmé une identité nordique ce qui s’est traduit concrètement par le choix du nom attribué aux nouvelles salles de cinéma « le Drakkar » et la nouvelle salle des « Vikings ».
Je vous propose de revenir à la source de cette thèse des années 1950.
[1] Note de Pierre Tesnière datée de 1967
1956 : Kristian Hald, première controverse
A cette thèse de l’origine par Yvar, la lecture d’un article, publié dans les Annales de Normandie en 1956, apporte une précision et une critique essentielle des travaux d’Adigard des Gautries à propos de la toponymie d’Yvetot. Hald Kristian[1], auteur de l’article intitulé : Une étude fondamentale d’anthroponymie normande : Jean Adigard des Gautries, Les noms de personnes scandinaves en Normandie de 911 à 1066 [compte rendu], tout en soulignant la remarquable contribution d’Adigard des Gautries[2], revèle les limites de ses travaux sur la base d’une documentation incomplète et sur le constat qu’il n’ait pas été fait de distinction nette entre les éléments respectivement nordiques et francs, ce qui devait nécessairement conduire à des conclusions peu sûres ou même franchement erronées.
Dans son article Kristian Hald fait référence à Yvetot en ces termes : … […] Il est très intéressant à cette occasion, de constater qu’une certaine quantité de toponymes à finales nordiques surtout en -tot ont un premier élément franc ou en tout cas non scandinave. Tel est, par exemple, le cas de Routot (Seine-Maritime et Eure) et des Yvetot (Seine-Maritime et Manche), respectivement formés avec les noms et personnes francs Rodulf et Ivo. Plusieurs auteurs danois et suédois ont rapproché les Yvetot du nom de lieu scanien Ivetofta et que l’on a même été jusqu’à s’imaginer que c’était ce dernier qui avait été tout simplement transporté en Normandie[3][…].
Les constatations de K.Hald mettent en évidence ce que crut bon divulguer en 1958 Henri Cahan, adjoint au Maire d’Yvetot et conservateur de la Bibliothèque : une nouvelle « légende » scandinave, relatée par l’adjoint au Maire dans un numéro de la Revue de Rouen[4], préface intitulée Yvetot et sa légende – Une ville sœur d’Yvetot en suède ?...
Robert Tougard, quelques décennies plus tard, reviendra sur ces origines.
1957-1958.
Lors d ’échanges avec le Rotary-club de Bromölla[5] et Yvetot, Henri Cahan atteste que les origines de la création du bourg remonteraient au temps des invasions scandinaves permettant d’établir une relation directe entre Yvetot, et Ivetofta, petit bourg à côté de Bromölla, sur les bords d’un lac suédois.
Henri Cahan stipule que le nom d’Yvetot aurait été donné au bourg par un des compagnons de Rollon. Cette révélation serait venue des professeurs Arbman et Stenberger, chercheurs scandinaves et du pasteur Jacques Obson de la ville soeur Ivetofta, qualifiée ainsi par Henri Cahan.
Il apporte dans cette revue un élément de preuve en citant le président du Rotary-Club de Bromölla annonçant qu’Yvetot a pour signification la « terre d’Ivar », nom répandu en Suède comme un Ivar, fils de Halfdan ayant conquis la Suède, le Danemark et des terres en Angleterre et au pourtour des voisins de la Baltique. Il aurait péri noyé dans le golfe de Finlande. M. Stig Sunne, président du Rotary-Club de Bromölla conclura ainsi son propos : « Il est donc très probable qu’un noble viking se vit attribuer en fief par Rollon une partie de la terre cauchoise, à qui il donna son nom. »
1967-1968 à propos des origines : une thèse remise à jour par M.Bréhier et une autre thèse déjà soutenue dix ans plus tôt sur laquelle revient M. P. Tesnière.
M. Bréhier, yvetotais, collectionneur des écrits et des mémoires traitant de l’histoire d’Yvetot restitue aux lecteurs de l’annuaire-guide de la région cauchoise, le Pays de Caux, 1968, préfacé par Jehan LE POVREMOYNE, l’histoire de la ville d’Yvetot.
Il rappelle que le plus ancien document sur Yvetot date de 1021 – la charte de Richard II de Normandie, de cette terre rattachée à la Neustrie – du pays de Caux au Benelux.
Le Sire d’Yvetot participa à la bataille d’Hastings en 1066 aux côtés de Guillaume le Conquérant.
Le Duché de Normandie reprit par Philippe Auguste en 1205 ne comportait pas la terre d’Yvetot. En 1313 Philippe Le Bel reconnut le royaume sous l’autorité princière de Jehan III. Le royaume bascula en principauté en 1551 pour disparaitre le 4 août 1789.
. L'annuaire d'Yvetot et de son canton édité sous le patronage de la municipalité sous le contrôle de Pierre Bobée et de Pierre Tesnière qui signa dans cette annuaire l'article intitulé - Le mini-Royaume d'Yvetot.
Cet annuaire paru en 1967-1968 revient sur la légende tout en postulant qu’Yvetot a pour origine le nom d’Ivar et signifierait la « terre d’Ivar » L’auteur du premier article intitulé « Yvetot d’hier… et de demain » que vient conclure Pierre Bobée, en déduit, mais sans aucune certitude, qu’un noble viking a pu se faire attribuer par Rollon ce fief lui donnant ainsi son nom.
Pierre Tesnière[7] énonce sa théorie ainsi :
« Il est vraisemblable que c’est de l’Yvetofta « suédois que sont partis les fameux vikings qui vinrent occuper notre cité et troubler la quiétude du roi d’Yvetot et de ses sujets. Fait intéressant à noter : depuis un temps immémorial la chapelle catholique d’Yvetofta serait dédiée à Saint-Pierre[8] ; et les Suédois revendiquent pour eux l’honneur d’avoir implanté chez nous la dévotion au Prince des Apôtres, tans ces émigrés – comme ils les appellent maintenant – désiraient retrouver, dans ce lieu de leurs conquêtes, leur village d’origine. Qui plus est, S.E. l’Ambassadeur de Suède – lors d’un récent diner des normands à Paris – révéla que la région du lac « Ivö » en Suède, au bord duquel se situe « Yvetofta », était l’une des régions les plus riches de traditions culturelles ; qu’on y trouva notamment le tombeau le plus ancien de Suède âgé de plus de 8000 ans… »
En 2000 Robert Tougard écrivit dans son opuscule « Un paradis fiscal au cœur du pays de Caux, le Royaume d’Yvetot »[9] :
« Arrivé au « crépuscule » de la « Royauté » d’Yvetot, comment pourrions-nous ne pas prendre le texte d’un érudit, fin connaisseur de l’histoire locale, Maître Pierre TESNIERE, dynamique Président du Syndicat d’Initiative d’Yvetot auquel il avait donné un certain essor. Après avoir rappelé que S.E. l’ambassadeur de Suède, lors d’un diner des Normands de Paris, révéla que la ville d’YVETOFTA, située au bord du lac « IVO » en Suède était riche en tradition culturelle et que vraisemblablement il existait à l’époque dans cette ville suédoise un roitelet… d’où son analyse que d’après lui les Vikings auraient pu apporter le régime de leur ancienne patrie à la nouvelle ! »
Robert Tougard et Pierre Tesnière se connaissant bien, il ajoute à cette conclusion :
« Et Pierre TESNIERE d’ajouter « Hélas, malgré les travaux abondants et combien précieux de L.A. BEAUCOUSIN, de l’Abbé de VERTOT… de Louis BREHIER et de Louis LAPERT, le bien-fondé de cette hypothèse aura, sans doute, beaucoup de mal à être contrôlé… » puis, poursuivant, en conclusion « Mieux vaut s’en tenir à la version plus poétique des 37 vieillards interrogés par LOUIS XI et que reprit dans son récit le Moine GAGUIN, sur le meurtre de SOISSONS ! Admettons donc, pour le cas où elle comporterait une partie de légende, qu’il n’y pas de fumée sans feu ! (11) [10]. Ce qui fera écrire au professeur Jean THOREL que Pierre TESNIERE « fit connaître son sentiment avec sagesse et humour, « royaumiste » convaincu parce qu’amateur de légendes et de folklore » pensant raisonnablement s’en tenir à la version poétique de GAGUIN sur le meurtre de SOISSONS (6)[11] ».
Pierre Tesnière en 1967 avait effectivement travaillé la question des origines d’Yvetot.
Pierre Tesnière, notaire à Yvetot, marié, père de huit enfants, eut une aspiration avant d’entrer en 1933 à l’office de Me Albert Ozanne, notaire à Rouen : le journalisme et plus tard l’Histoire comme ardent défenseur de la mémoire du passé affirmant interviewé par Marc Bénard que pour lui l’Histoire lui est apparue comme une recherche de l’Homme à travers le temps, en essayant de connaître la vie quotidienne de ceux qui nous ont précédés, ce qui sera écrit dans l’hommage au Président Tesnière : « le Gnomon », Bulletin de liaison N°40, novembre 1984, Revue internationale d’histoire du Notariat, Paris. : in : archives de Louis Lapert."
Revenant sur la mission d’un lévite, Wandrille, venu évangéliser Yvetot (!) en 649 et sur les invasions normandes, Pierre Tesnière semble dire que c’est à partir de l’année 845 qu’Yvetot aurait pris son nom - tofta en danois - précise-t-il encore pour décrire les locutions en tot « terrain à bâtir » ou « terrain près de la maison ».
[1] Kristian Hald, Professeur à l’université de Copenhague in : Annales de Normandie, Année 1956 6-3-4 pp. 330-333.
[2] Jean Adigard des Gautries, Les noms de personnes scandinaves en Normandie de 911 à 1066 (Nomina Germanica, n°11 Lund, 1951, XXXV – 479 pages)
[3] H.Arbman et M.Stenberger, Vikingar i Västerled, Stockholm, 1935,p.176. in : Kristian Hald, Professeur à l’université de Copenhague in : Annales de Normandie, Année 1956 6-3-4 pp. 331.
[4] La Revue de Rouen, 10e année, n° 4, Yvetot, Capitole du Pays de Caux, dont les articles signés par Louis de Bailly, Jehan Lepovremoyne, Louis Lapert et préfacé par Henri Cahan et introduction par Jean François, ADSM FRAD076.
[5] Il convient d’orthographier : Bromölla, Scanie, Suède
[6] In : Le Pays de Caux, annuaire-guide de la région cauchoise, L. Palier, 1968
[7] In : Le Mini-Royaume d’Yvetot, Pierre Tesnière, Y en a d’autre !!!!? ANN 21-1 -1967, notes préparatoires reprises dans le chapitre de l’annuaire-guide.
[9] Un paradis fiscal au cœur du pays de Caux, le Royaume d’Yvetot, 1er trimestre 2000, p.17-18.
[10] Arrest du Conseil du Roy du 30 aout 1723 et lettres patentes de celui-ci données à Versailles le 27 septembre 1723 et registrées en la cour des Aydes de Normandie. Paris – Veuve SAUGRAIN et Pierre PRAULT – 1723 – documents communiqués par M. Philippe BOULARD. In : Robert Tougard, Un paradis fiscal au cœur du pays de Caux, le royaume puis …la principauté d’Yvetot (Yvetot, Saint Clair-sur-les-Monts, Sainte Marie-des-Champs), p.39.
[11] Lettre de Madame Christine BONGRAIN, de Corpeau à R. TOUGARD - du 25.05.1988. In : Robert Tougard, Un paradis fiscal au cœur du pays de Caux, le royaume puis …la principauté d’Yvetot (Yvetot, Saint Clair-sur-les-Monts, Sainte Marie-des-Champs), p.39
1995 : 2o ans se sont écoulés et la question des origines d’Yvetot ressurgit, 10 ans après la thèse soutenue par Jean Thorel et avant que Serge Couasnon en face la synthèse en 2005.
La prétendue « Maison du Dessus »
Après la légende du moine Robert Gaguin et la légende d’Yvar, c’est encore Robert Tougard qui permit aux yvetotais de faire débat autour de cette troisième hypothèse lors des échanges entre les membres du C.E.P.C., consignés dans la Gazette du patrimoine cauchois cette année-là.
Son article[1] fit grand bruit et souleva une controverse nourrie donnant lieu à d’autres échanges publiés dans les numéros qui suivront.
La théorie de l’Abbé introduit Yvetot comme « la Maison du Dessus » c’est-à-dire que les terres et fiefs reliés à la principauté se trouvaient sur les hauteurs du plateau au sommet des bassins versants – Seine et Manche. En dépit que les noms soient souvent rattachés à des noms de personnes et du fait que les uns et les autres veuillent en inventer, il penche sur le mot racine SUR qui en islandais devient Yfir.
Yfir aurait perdu son r pour former Yfitot. Avec juste raison il nous fait remarquer qu’Yvetot se prononce par les horsains Yvetot et par les cauchois Yftot ! Il ajoute que l’invasion normande importa une langue proche de celle parlée en Islande, qui permet de dire que le norois se retrouve déformé dans de nombreux toponymes cauchois.
Yvetot, quid de la maison du Dessus, du domaine d’Yvar , de la maison d’Yves ! – toponymie[2]
L’Abbé Gérard Dessolle ayant ainsi rouvert les débats en ce début d’année 1995, à l’invitation de Robert Tougard, les réactions ne se firent pas attendre. Le premier fut le professeur François de Beaurepaire un des spécialistes de la toponymie normande. Cet auteur reconnu pense que Yves vient d’un homme germanique Ivo, de la même manière qu’un autre exemple Robertot. Comme chacun sait tot est très utilisé d’après le mot scandinave toft. Il associe la toponymie au domaine d’Ive pour Ismenil, hameau d’Allouville-Bellefosse tout en évitant la facilité d’associer une préposition scandinave avec tot qu’il trouve incorrect.
François de Beaurepaire s’accorde à valider l’explication de l’Abbé Cochet qui dans son ouvrage sur les églises de l’arrondissement d’Yvetot écrit ceci :
« Le nom d’origine germanique ou scandinave, indique l’ancienne habitation d’un seigneur saxon ou normande. Yvetot[3], souvent écrit Ivetot, signifie littéralement la maison d’Yves »
Le débat engagé par les experts ne faiblira pas dès lors.
Le Professeur Jean Thorel[4] participa au débat car dix ans après la soutenance de sa thèse à Rouen, il mentionna l’existence de deux chefs scandinaves Ivar, Jarl d’Uplendings et un autre Ivar, tué aux Hébrides, fils de Harald, Belle Chevelure.
L’Abbé Gérard Dessolle, bien conscient de s’attirer les foudres de toute une école, pour reprendre sa formule, retorque[5] en affirmant qu’il faut sortir des idées reçues et que les arguments sont déjà bien connus et peu convaincants.
Il persiste à penser que Yvesmesnil, Yvetot, Yvetot-Bocage sont sur des hauteurs. Il poursuit en référant au dictionnaire étymologique des noms de lieux en France de Dauzat et Rostaing pour asseoir sa position et l’usage d’un préfixe tel Ober en allemand et Yfir en islandais à la même signification « au-dessus, supérieur, situé en haut »
A cette hypothèse, seule certitude, Yvetot se trouve sur les hauteurs des bassins versants, l’un tourné vers la Seine - le val au Cesne – l’autre vers la Manche par les vallons rejoignant la Durdent.
1996 : conclusion provisoire par Jean Thorel
A propos des origines d’Yvetot Jean Thorel publia un article renouant avec la tradition des historiens qui au cours du 19e siècle eurent de l’audace à déjouer la critique du petit roi d’Yvetot raillé, moqué comme il le constata dans les facultés :
« J’ai eu l’occasion de constater que dans les facultés, les enseignants, sans donner dans une pareille outrance verbale, ont envoyé le royaume d’Yvetot au cimetière des vieilles lunes d’où il serait ridicule de tenter de l’exhumer »
Il ne se priva pas de poursuivre par ces mots
« Aussi tous les chercheurs ont-ils avancé, non des hypothèses qui sont des éléments de recherches, mais des suppositions gratuites « que de puériles dissertations ! » ironise le vicomte[6], qui cependant, pas plus que son rival BEAUCOUSIN n’a proposé de solution valable. »
Concluant son article, Jean Thorel[7] conscient des lacunes qu’il n’a pas abordé dans sa thèse invoque la nécessité poursuivre les rechercher des origines d’Yvetot :
« L’origine du royaume d’Yvetot doit être recherchée dans la période qui s’étend de l’époque des invasions vikings à la défaite de JEAN SANS TERRE en 1203/4 c’est-à-dire dans les premiers temps de notre province, ce qui m’a obligé à reconsidérer tout ce qui a été dit à ce sujet et à revenir sur bien des idées reçues et considérées depuis longtemps comme définitives. »
Pour compléter ces informations, la bibliographie contenue dans cette publication est à consulter : in : Guillaume de Volpiano : Fécamp et l’histoire normande, 2002, La diffusion de la toponymie scandinave dans la Normandie ducale, Scandinavian place-names in norman duchy, François de Beaurepaire[8] : Charles Joret, Renaud, Jean, Beaurepaire, François de, Tessier, Georges, Jean Adigard des Gautries, Musset, Lucien, Haubrichs, Wolfgang, Ekwall, Eilert.
1997 : La vérité se cache-t-elle finalement au pied d’un arbre ?
Poursuivant les échanges à propos du nom de la ville d’Yvetot, Robert Tougard fit appel à l’expertise de Jacques Bril[9], Docteur-ès-lettres, docteur en physico-chimie.
Jacques Bril ne se contenta pas de commenter les diverses hypothèses relatées dans les articles précédents de la Gazette, vis-à-vis d’un supposé Yvar, Ivo et Ive.
Point par point il réfuta chaque argument notamment vis-à-vis d’Ive car d’après ses connaissances, vis-à-vis d’Yvo et de Yves, il faut attendre la vénération de l’évêque de Chartres décédé en 1116, et d’Yves, juge et prêtre en Bretagne décédé en 1303, pour célébrer des Saints hommes ce qui est bien loin de la réalité d’Ivetot du début du 11e siècle.
Concernant l’hypothèse de l’Abbé Gérard DESSOLLE, Jacques Bril expose son doute et sa réserve quant à recourir à yfir pour le dériver en Yve-.Il ajoute cependant que cette hypothèse mériterait d’être davantage explorée et étayée.
Enfin concernant Ivar, Jacques Bril se réfère à l’auteur[10] néerlandais ayant autorité citant les noms suivants : Ivo, Iwo, If, Iftinus en néerlandais, Ivo, Iwo en anglais ; ainsi que Ivo et Ivar, prénoms scandinaves. D’après Jacques Bril cette autorité néerlandaise affirme que ces prénoms masculins renvoient à la même souche iif, néerlandaise que les botanistes désignant l’if – arbre, taxus - que l’on retrouve en germanique par Iwa, iwo et iwos (celtique), iwa (slave)[11].
En conclusion, au regard de ses connaissances en étymologie, en toponymie et au vu de son étude onomastique Jacques Bril souscrit à la thèse d’Yvetot «la terre aux ifs » ou « lande des ifs », il est un des premiers à l’affirmer.
Jacques Bril insiste sur le fait que l’if avait une importance capitale à l’époque romaine et gauloise notamment cruciale pour la confection des arcs et des machines balistiques.
Jacques Bril connait bien le pays de Caux, Il insiste sur l’origine d’Yvetot qui pour lui tient autant à l’homme qu’à l’arbre (if) puisqu’ils portent la même signification : ivo
Mais savait-il, tout comme Robert Bourdu qu’Yvetot abritait autant d’ifs ? probablement non !
Ce qui me permet aujourd’hui de souscrire à l’origine d’Yvetot par l’if tient au fait qu’ayant inventorié les ifs à Yvetot et sur les terres de l’ancienne principauté, ce que personne n’avait commis jusqu’à présent, j’ai constaté leur nombre, avoisinant les 260 sujets sans compter les 200 sujets qui se situent à Croix-Mare et la vingtaine d’autres répartis sur les communes de Saint-Martin de l’If, que je localiserai sur deux cartes dans la prochaine chronique, l'une représentant Yvetot et son environnement proche, l'autre couvrant les communes de la C.C.Yvetot Normandie.
Hors du champ d’investigations du C.E.P.C. présidé par Robert Tougard , en 1994, et après que Jacques Brosse (1977) ait examiné la toponymie de l’if sans jamais citer Yvetot mais citant d’autres villes françaises (Evreux), d’autres villes étrangères en Europe (York en Angleterre) un article de la Nouvelle revue [1994] intégrait également Yvetot à l’inventaire des villes rattachées à l’arbre, à l’if tout comme d'autres cités en Bretagne, ce que nous aborderons dans le prochain article Les auteurs nous rappellent que dans les pays scandinaves l’if, au même titre que le chêne, revêt une signification sacrée.
L’if est décrit par tous les spécialistes comme un arbre « toujours vert » ce qui lui a conféré le symbole de permanence et d’immortalité. La présence de l’if dans les cimetières normands a précédé d’autres coutumes qui ont revitalisé son implantation par les populations scandinaves ayant envahi les terres côtières françaises comme notamment ce qui devint La Normandie.[12]
Le nom de l’if prend plusieurs significations et peut se traduire en Eibe en allemand, terme qui en 1995, selon la revue la Nouvelle Ecole est à rapprocher de sa désignation celtique, eburos, « que l’on retrouve dans le nom de la tribu gauloise des Eburovices, comme dans celui des villes d’Evreux (ancienne « civitas Ebroicorum »), Evrecy (« Everceium » en 1198), voire Yvetot, Yverdon et York. Le mot français « if » remonte lui-même à Eburos ou ivos, cette dernière forme apparaissant vers 1080. On trouve encore les formes iw en vieil-anglais et Yr en vieux-norois (qui donne ivar au nominatif pluriel et iva ou ifa au génitif pluriel). »
Mais déjà en 1977 Jacques Brosse avait écrit ceci :
" Or la tribu qui habitait cette région (la forêt de Brotonne) s'appelait Eburovices (les combattants par l'if), nom qui a donné celui d'Evreux, leur cité. Il existait aussi en Gaule Belgique un peuple d'origine germanique, les Eburones, et la capitale de le Grande Bretagne au temps des romains se nommait Eboracum (York)... […] Il existe en Angleterre des ifs plus vieux qu'en France, celui de Grasford, âgé de 1450 ans et dont le tronc a 15 m de tour, un if du Derbyshire, plus gros encore, aurait 2100 ans, l'if de Fortingall en Ecosse dépasserait 2000 ans, enfin celui d'Eron, dans la forêt de Cliefdon, n'aurait pas moins de 3000 ans. En Allemagne, l'if de Krombach serait aussi vieux. Une tradition kymrique atteste la vénération des Celtes pour l'if, il y est dit que la durée de la vie d'un homme est de 81 ans, celle d'un aigle de 2187, mais celle d'un If de 19683 ans, soit 243 fois la vire d'un homme, l'If serait donc le plus vieux de tous les êtres vivants au monde dont la durée ne serait que de 59049 ans, soit seulement trois fois plus. L'if est en effet un arbre sacré du druidisme, et bien des objets cultuels étaient fabriqués en bois d'if, que ce soient des tablettes d'exécration, différents simulacres ou le fameux bâton druidique"
"Les gaulois avaient coutume d'empoisonner leurs flèches avec le suc extrait des arilles, ce qui est d'ailleurs erroné, car la pulpe des baies est la seule partie de la plante qui ne soit pas vénéneuse. Jules César cite l'exemple de deux rois des Eburones ("hommes de l'if"), qui se donnèrent la mort en s'empoisonnant avec de l'if."[13]
[1] In : Bulletin de liaison, la Gazette du patrimoine cauchois, n°4 – 1e semestre 1995, Cercle d’Etudes du Patrimoine Cauchois, p. 29-30.
[2] In : Bulletin de liaison, la Gazette du patrimoine cauchois, n°5 - 2e semestre 1995, Cercle d’Etudes du Patrimoine Cauchois, p. 10-11.
[3] In note de bas de page de l’ouvrage aux premières lignes à la partie consacrée au Canton d’Yvetot, Tome II.
[4] In : THOREL Jean, De l’origine du royaume d’Yvetot, thèse pour le doctorat en droit, université de Rouen, 1985.
[5] In : Bulletin de liaison, la Gazette du patrimoine cauchois, n°5 - 2e semestre 1995, Cercle d’Etudes du Patrimoine Cauchois, p. 12
[6] « Abordons ce formidable problème de l’origine d’Yvetot qui se dresse depuis des siècles comme un défi à la sagacité des historiens » écrivait en 1872 le vicomte de Poli. In : Bulletin de liaison, la Gazette du patrimoine cauchois, n°6 – 1e semestre 1996, Cercle d’Etudes du Patrimoine Cauchois, p. 6-7.
[7] Jean Thorel, ancien professeur au Lycée agricole d’Yvetot, a soutenu en 1985 une thèse de Doctorat en Droit « sur l’origine du Royaume d’Yvetot ». Yvetotais, Il a publié divers articles dans la « Gazette du patrimoine cauchois ».
[8] In : https://journals.openedition.org/tabularia/1760
[9] Jacques Bril, Docteur en lettres et en physico-chimie, Jacques Bril a été durant de nombreuses années chargé de différents travaux et réflexions relatifs à l'innovation technologique et sociologique. Il a enseigné à Paris VII et à l'université de Tours, auteur notamment de : Origines et symbolisme des productions textiles, éd. Clancier - Guenaud, 1984 ; Origines et symbolisme des productions textiles : de la toile et du fil / Jacques Bril Bril, Jacques (1925-....).
[10] J.van der SCHAAR : Woordenboek van l’oornamen, Utrecht, Aula, 1967 : art Ive et Ive-
[11] FKLUGE : Etymologisches Wörterbuch der deustchen Sprache, Berlin. Walter de Gruyter, art »Eibe ». In : Bulletin de liaison, la Gazette du patrimoine cauchois, n°8 – 1e semestre 1997, Cercle d’Etudes du Patrimoine Cauchois, p. 18.
[12] D’après Jean Fournée, « Enquête sur le folklore de la Forêt et de l’Arbre en Normandie », in Cahiers Leopold Delisle, 1975, 1-4 ; et Louis Sébire, « A propos de l’if en Normandie », in Heimdal, été 1984, pp.8-9.… in la Nouvelle Ecole, n°47, 1995, …p.147-148.
[13] Jacques Brosse, Les arbres de France, Histoires et légendes, Omnia Poche, Editions Bartillat, 1987 et 2002-2017, p. 99-101
dans la dernière partie de ce chapitre :
Yvetot en pays de Caux, Normandie a selon Robert Bourdu (1998) pour origine toponymique l'if ce qu'il affirme en qualité de spécialiste des arbres, scientifique reconnu, fondateur de l'association ARBRES.
Robert Bourdu (1998) et Jacques Bril ont fait cette étude (1995) à propos des ifs
En Scanie des chercheurs ont trouvé la même correspondance entre ce lieu et l'if : Ivetofta, Scanie, Suède
Ivetofta se trouve au bord du lac Ivojsson sur lequel se trouve le lac Ivo
Ivo veut dire If
"La première mention de » ce village – Ywae toffte – date de 1319. Spécialiste de la toponymie de Scanie, l’universitaire Bengt Pamp (cf Skanskan orter och ord et Ortnamn i Skane) nous explique sa signification : de « i » ou « Y », notre if français aujourd’hui « ide » ou « idegran » en suédois moderne. Quant à tofta, c’est la forme plurielle et locale du terme suédois « tomt » ou « toft » qui signifie site ou lieu.
Ivetofta[1] peut donc se traduire par « les lieux où poussent les ifs ».
Yvetofta est située sur les rives du lac Ivö (Ivösjön – le lac des ifs) et face à une île appelée Ivön (l’île des ifs ou l’île dans le lac des ifs) mentionnée dès 1231 et dominée par un sommet de 133 m : l’Ivö klack.
La ville d’Ystad, au sud de la Suède, a d’ailleurs la même origine étymologique qu’Ivetofta. » in le petit roi d'Yvetot, Serge Couasnon, Colet, 2005
pupitre au motif d'inspiration runique - mosaïque, Pascal Levaillant 2010. Motif d’une Stèle provenant de Gotland (hauteur : 1,75) Pierre peinte du mémorial de Martebo, en Gotland, datant du Vème siècle ; c’est l’une des plus anciennes que l’on connaisse. Les spirales symbolisent le Soleil, et les motifs s’inspirent- de la chasse. Les premières pierres peintes du Gotland furent des monuments dédiés aux morts, aux premiers temps de l’âge de fer germanique. Cf Les vikings, Editions Atlas, p.12, 1978 Ce motif nordique récurrent contient des spirales mais par ailleurs il peut contenir des volutes blanches. Il s’agit par ses motifs de donner l’impression de mouvement comme une roue qui tourne. Ces motifs en disque seraient des symboles d’un culte lunaire remontant à l’âge du bronze.
Carte de répartition actuelle de l'if (Taxus baccata L.) en Europe occidentale (en grisé). Carte simplifiée, tirée de l'Atlas Florae Europaeae, Musée finlandais d'histoire naturelle, Université de Helsinki.
in : https://www.researchgate.net/publication/257304261_L'if_Taxus_baccata_L_histoire_et_usage_d'un_arbre_durant_la_Prehistoire_recente_L'exemple_du_domaine_alpin_et_circum-alpin
Quelque part, rue des Parts, un des 150 ifs d'Yvetot, avec l'autorisation de son aimable propriétaire.